L’hypnose en Odontologie

Les techniques modernes de contrôle de la douleur et l’équipement sophistiqué du chirurgien-dentiste ont nettement amélioré les soins dentaires. Cependant, l’anxiété et les troubles phobiques liés aux soins dentaires persistent chez bon nombre de patients. L’hypnose constitue un outil thérapeutique efficace pour gérer ces problèmes que le chirurgien-dentiste rencontre dans sa pratique quotidienne.

Dans les pays anglo-saxons, les professionnels de santé utilisent couramment l’hypnose clinique dans leur pratique. Mais en France, les possibilités d’applications cliniques de l’hypnose restent sous-exploitées non seulement en odontologie, mais aussi en médecine et en psychothérapie pour différentes raisons. En particulier, le mot hypnose reste entouré de mythes et de préjugés. Ces notions erronées sur l’hypnose sont perpétuées par les spectacles d’hypnose de théâtre. Or, l’hypnose clinique est totalement différente de l’hypnose de théâtre.
Dans cet article, après un bref aperçu historique, nous expliquerons ce qu’est l’hypnose. Nous présenterons les différentes applications cliniques de l’hypnose, notamment en odontologie

:: APERÇU HISTORIQUE
Le mot hypnose est d’abord apparu dans la langue anglaise, et il y a été introduit par le médecin écossais, le docteur James Braid, vers 1841-1842. Mais, la pratique de l’hypnose, sans être désignée par ce nom, remonte à la nuit des temps.
Les recherches archéologiques effectuées en Egypte et en Grèce montrent que dans ces pays, les prêtres avaient la coutume de plonger les personnes malades dans une sorte de sommeil pour pouvoir les guérir et ces endroits étaient connus sous le nom de temples du Sommeil.
Or, de telles pratiques ont connu un déclin au début de l’ère chrétienne. Un des premiers à s’intéresser à ces phénomènes d’un point de vue scientifique était le docteur Franz Anton Mesmer au milieu du XVIIème siècle.
Mesmer a été très influencé par la théorie en vogue à l’époque, celle connue sous le nom de magnétisme animal. Selon la théorie du magnétisme animal, il y aurait un fluide magnétique invisible dans le corps humain. La maladie serait causée par un déséquilibre de ce fluide magnétique. Pour guérir la personne, il fallait donc rétablir l’équilibre du fluide magnétique. Ainsi, Mesmer se servait de l’aimant pour agir sur le fluide magnétique et guérir des personnes. Plus tard, il s’est servi de son propre magnétisme.
Mesmer a eu de nombreux disciples. Le docteur James Braid, de Manchester, s’intéressait au mesmérisme. Il s’est rendu compte que tous les phénomènes décrits pas Mesmer étaient dus aux suggestions et à la concentration de l’esprit et non pas au fluide magnétique. Pour séparer sa théorie de celle de Mesmer, il a appelé sa théorie hypnotisme, du grec hypnos qui signifie sommeil.
Dès la deuxième moitié du XIXe siècle, l’hypnose est utilisée en thérapie par de nombreux médecins tels que Esdaile et Elliotson en Angleterre, par Bernheim et Liebault en France. Une des premières applications de l’hypnose a été l’hypno-anal-gésie. C’est ainsi que les chirurgiens-dentistes ont commencé à s’intéresser à l’hypnose, l’anesthésie chimique étant à ses débuts au milieu du XIXe siècle.
Dès 1837, un chirurgien-dentiste français, Jean-Victor Oudet, extrait une dent sous hypno-analgésie.
En 1847, deux chirurgiens-dentistes de Poitiers, Ribaud et Kiaro, enlèvent une tumeur de la mâchoire en utilisant uniquement l’hypnose pour l’anesthésie.
En 1890, Henry Carter et W. Arthur Turner, chirurgiens-dentistes de Leeds, en Angleterre, font une démonstration d’extraction dentaire sous hypno-anesthésie devant une assemblée médicale.
Dès 1927, Thomas Burgess, un psychologue de Moorhead, au Minnesota, aux États-Unis, commence à enseigner l’emploi de l’hypnose en odontologie.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’hypnose est employée pour l’anesthésie lors des soins aux victimes de la guerre blessées dans la zone orofaciale.
En 1948 a été créée la Société américaine pour l’avancement de l’hypnodontie.
En 1949, la Société américaine d’odontologie psychosomatique a été créée.
Le premier livre sur l’hypnose en odontologie est publié aux États-Unis par le docteur A.A. MOSS (12) en 1952 sous le titre: Hypnodontics or Hypnosis in Dentistry. La même année, est fondée l’« International Society of Clinical and Expérimental Hypnosis ».
En 1955, l’Association médicale britannique approuve officiellement l’emploi de l’hypnose en médecine et en odontologie. En 1957, l’«American Society of Clinical Hypnosis » est fondée.
En 1958, l’Association médicale américaine reconnaît officiellement l’hypnose comme une technique thérapeutique en médecine et en odontologie, et recommande d’inclure cette science dans les cursus des études de médecine. La même année voit l’apparition de la « British Society of Clinical Hypnosis ».
En 1970, le docteur Cherchève et le docteur Berranger (2) publient le livre : “L’hypnosophrologie en art dentaire”, le premier livre en langue française consacré aux applications de l’hypnose et sophrologie dans ce domaine.
En 1971, l’«Australian Society for Clinical and Experimental Hypnosis » est créée.
En 1973, [‘«International Society of Clinical and Experimental Hypnosis» devient l’« International Society of Hypnosis» (Société Internationale d’hypnose). Elle regroupe les sociétés d’hypnose des différents pays du monde. Les membres de ces sociétés exclusivement des médecins, des chirurgiens-dentistes ou des psychologues. Depuis, l’hypnose est enseignée aux États-Unis et au Canada dans de nombreux établissements universitaire que l’University of Los Angeles School of Medicine, Long Island University, Roosevelt University, Tuft University et le John Al Collège à Montréal. Plusieurs universités renommées, y compris Stanford et Columbia, ont des centres de recherche pour l’hypnose.
En Angleterre, depuis 1991, l’université de Sheffield assure un enseignement d’hypnose clinique. Un cours d’hypnose appliquée fait partie des enseignements de l’University Collège de Londres depuis 1993.
Une étude récente réalisée au sein des écoles dentaires aux États-Unis et au Canada (3) montre que 26 % de ces établissements assurent une formation en hypnose clinique d’une durée moyennre de quinze heures. Le nombre d’écoles dentaires présentant une introduction à l’hypnose (une à deux heures) est passé de 18% en 1980 à 30% en 1995.

:: HYPNOSE ET HYPNOTHERAPIE
II importe de distinguer l’hypnose de l’hypnothérapie.

Qu’est-ce que l’hypnose?
L’hypnose peut être définie comme «un état psychophysiologique normal, un état modifié de conscience induit par le conditionnement et l’emploi habile de suggestions qui diminuent le raisonnement et les inhibitions du sujet tout en augmentant sa capacité de se relaxer et sa suggestibilité» (13).
L’hypnose est un état psychologique parce que les suggestions sont acceptées par l’inconscient du sujet. Elles agissent sur lui selon son conditionnement et la manière dont il a été élevé. C’est un état physiologique caractérisé par une baisse du métabolisme. En état hypnotique, les muscles du corps deviennent relaxé, la respiration se ralentit, la consommation de l’oxygène diminue, le rythme cardiaque se ralentit.
L’hypnose constitue un état modifié de conscience, un état intermédiaire entre la veille et le sommeil. Comme il s’agit d’un état intermédiaire entre la veille et le sommeil, une personne hypnotisée n’est pas endormie. Elle ne perd pas conscience non plus. En état léger d’hypnose, elle peut avoir l’impression d’être bien éveillée, alerte sauf que les yeux sont fermés. C’est pourtant un état hypnotique.
En état profond d’hypnose, elle est à la limite du sommeil. Souvent, au cours d’une séance d’hypnose, elle fait l’expérience de différentes profondeurs d’hypnose qui se situent entre ces deux extrêmes. Cependant, elle maintient sa capacité de raisonner et son contact avec la réalité, même en état profond d’hypnose. On ne peut donc pas pousser une personne hypnotisée à commettre des actions contraires à ses convictions morales. Or, comme elle est physiquement détendue et mentalement calme, il lui est facile de se concentrer sur ce que dit l’hypnotiseur.
Ainsi, l’hypnose peut être conçue comme un état de détente et un état de concentration de l’esprit permettant une communication privilégiée entre l’hypnotiseur et son sujet qui n’est pas gêné par les stimuli extérieurs. Pourtant, pendant la séance d’hypnose, le sujet hypnotisé est pleinement conscient de tout ce qui se passe. Après la sortie de l’hypnose, il se rappelle ce qui s’est passé pendant la séance.
Il existe plusieurs moyens d’accéder à cet état. Toute technique de relaxation ou de méditation induit un état d’hypnose. Certains exercices du yoga permettent également d’arriver à un état d’hypnose. De plus, nous passons tous par un état hypnotique au moment de l’endormissement et au moment du réveil. C’est donc une expérience quotidienne et normale. L’état hypnotique constitue avant tout une expérience agréable où le corps devient détendu, l’es
prit, calme. Ainsi, toute personne hypnotisée prend plaisir à ce bien-être physique et à cette paix intérieure.
Plus une personne pratique régulièrement l’hypnose ou l’auto-hypnose, plus elle devient capable d’aller rapidement en état plus profond d’hypnose.
L’état hypnotique est induit par l’emploi habile de suggestions, ce qui nous permet de comprendre l’importance de la communication dans le processus d’hypnose. Toute communication comporte de la suggestion. En réalité, il n’y a pas de communication sans suggestion et il n’y a pas de suggestion sans communication. Ainsi, en apprenant l’hypnose, vous maîtrisez les lois d’une communication efficace et vous devenez meilleur communicateur parce que les lois d’une bonne communication sont les mêmes, aussi bien dans le cabinet dentaire que dans la vie quotidienne.
Les suggestions de l’hypnothérapeute ont pour effet de diminuer les inhibitions du sujet et d’augmenter la capacité de se relaxer. Ainsi, un sujet en état hypnotique parle plus facilement de ses conflits et de ses problèmes psychologiques. Il lui est possible d’accéder à des informations qui sont dans son inconscient.
Nous sommes tous suggestibles, c’est-à-dire que nous avons tous la capacité d’accepter les suggestions. En état d’hypnose, nous devenons encore plus suggestibles du fait que notre esprit est plus concentré. Comme le disait Freud (8), « la suggestibilité est un phénomène primitif et irréductible, un fait fondamental de la vie psychique de l’homme. »

L’hypnothérapie
L’hypnose, représentant un état particulier de conscience, ne constitue pas une thérapie en soi. L’hypnothérapie est une forme de traitement où l’hypnose est utilisée dans le cadre d’une psychothérapie de courte durée.
La capacité à être hypnotisé est une caractéristique inhérente aux êtres humains. En situation clinique, 95 % des individus peuvent être hypnotisés et bénéficier d’hypnothérapie si nécessaire. Les 5 % de personnes non hypnotisables se composent aussi bien d’individus normaux que de sujets atteints de psychopathologie grave (psychoses, certains problèmes neurologiques…). Dans le cabinet dentaire, les patients coopèrent facilement avec le chirurgien-
dentiste et atteignent rapidement un état profond d’hypnose du fait qu’ils sont très motivés pour éviter le stress et le malaise des soins dentaires.
Le contenu de chaque séance est variable selon le patient et selon le travail thérapeutique à effectuer. D’après notre expérience, l’hypnothérapie se révèle efficace quand le praticien adopte une approche à la fois globale et éclectique. L’hypnose est ainsi associée à une approche psychanalytique, à des techniques comportementales et cognitives ainsi qu’à la thérapie éricksonienne.
Une séance d’hypnothérapie peut comporter une ou plusieurs des approches suivantes :
– suggestions directes pour la suppression du symptôme
– hypnomodification du comportement pour le contrôle des habitudes comme le tabagisme, l’alcoolisme et l’obésité,
– hypno-analyse pour traiter l’origine et la cause du problème qui se situent souvent dans le passé du patient,
– techniques recommandées par le célèbre psychiatre Milton Erickson où le praticien se sert de suggestions indirectes et de métaphores. Il utilise les valeurs, les croyances, les ressources aussi bien que les résistances du patient. Une telle approche se révèle efficace pour les patients qui résistent au changement.

:: APPLICATIONS DE L’HYPNOTHERAPIE
L’hypnothérapie se révèle efficace dans le traitement de problèmes variés :
– douleurs chroniques (maux de tête (14), arthrites…),
– problèmes causés ou aggravés par des facteurs psychologiques (asthme, allergies, insomnie, éreuthophobie, torticolis…),
– troubles du comportement alimentaire (suralimentation, obésité, boulimie, anorexie),
– problèmes gastro-intestinaux (syndrome de l’intestin irritable, colite spasmodique, recto-colite hémorragique, constipation…)
– problèmes pédiatriques (phobie d’école, anxiété, troubles du sommeil, énurésie, tics nerveux, onychophagie, bégaiement, dyslexie, certaines formes d’épilepsie…),
– problèmes gynécologiques et obstétriques (aménorrhée, dysménorrhée, stérilité psychogène, symptômes liés à la ménopause, hyperemesis gravidarum…),
– problèmes dermatologiques (verrues, acné, herpès, prurit, alopécie, trichotillomanie, eczéma, psoriasis, neurodermite, lupus erythémateux…),
– problèmes cardio-vasculaires psychosomatiques (hypertension artérielle, arythmie, tachycardie…),
– problèmes sexuels (impuissance masculine, éjaculation précoce, anorgasmie, frigidité, vaginisme…).
En chirurgie, on peut recourir à l’hypno-anesthésie dans les cas où l’anesthésie chimique est contre-indiquée. De plus, le traitement hypnotique s’est révélé efficace dans la suppression de la douleur dans le membre fantôme. La souffrance des brûlés lors des pansements peut être soulagée par des techniques hypnotiques. .
En psychiatrie et en psychologie clinique, l’hypnose peut être associée à une approche psychanalytique aussi bien qu’à une thérapie comportementale et cognitive pour traiter les troubles anxieux, phobiques et dépressifs. L’utilisation de l’hypnose pour le traitement des psychoses est controversée.
En cancérologie, les techniques hypnotiques permettent de réduire la douleur et l’anxiété des patients. Elles aident dans le traitement de la dépression et dans l’élimination des sentiments de culpabilité. L’hypnose permet de réduire la nausée et le vomissement invoqués par le traitement médicamenteux. Bref, elle peut améliore la qualité de la vie de ces patients.

:: INTERET DE L’HYPNOSE EN ODONTOLOGIE
L’hypnothérapie constitue une forme de psychothérapie. Or, pa quoi un chirurgien-dentiste devrait-il s’intéresser à la psychothérapie ?
Au cours de sa pratique clinique, le chirurgien-dentiste se rend compte très vite que l’exercice de sa profession ne se limite pas aux procédés mécaniques associés à l’odontologie. Il est amené à considérer l’organe dentaire comme une partie d’une unité plus large, la cavité buccale, celle-ci constituant une partie du corps humain. Le corps humain fait partie du patient et le patient constitue une unité indissociable du corps et de l’esprit. Ainsi, la tâche du chirurgien-dentiste consiste à traiter des personnes présentant des problèmes dentaires.
La région oro-faciale revêt une importance spéciale pour différentes raisons :
– origine embryologique diverse,
– un système complexe de vascularisation et d’innervation crânnienne et cervicale,
– siège de quatre sens et une signification émotionnelle particulière.
Freud (7) explique l’importance de la cavité buccale de la manière suivante. Au cours du développement psychologique, un enfant passe par différents stades. Le stade oral constitue la première phase et recouvre à peu près la première année de la vie du bébé.
À ce stade de la vie, ce qui compte le plus pour le bébé, c’est l’activité nutritionnelle. Le premier contact du nouveau-né ave monde extérieur s’effectue par la succion du sein maternel.
De plus, la bouche sert à explorer le monde environnant : le bébé porte à la bouche tous les objets se situant dans son champ visuel y compris ses doigts et ses orteils. Freud considère que la bouche constitue une zone érogène à ce stade du développement. Ainsi, le bébé éprouve beaucoup de plaisir à explorer les objets par la bouche, le sein maternel ou son substitut constituant le premier objet sexuel de l’enfant.
Plus tard, avec l’apparition des dents, l’activité orale revêt un caractère plus agressif. Ainsi, Karl Abraham (1) divise le stade oral en deux parties: une période passive caractérisée par la succion et la rétention et une période active – sadique olale – où l’enfant peut mordre l’objet et le détruire.
Le psychanalyste Erik Erikson (6) insiste sur les aspects sociaux de ces stades de développement. Il considère que les premières expériences orales de l’enfant constituent le fondement de toute relation de confiance à l’âge adulte. Cette relation de confiance qui s’établit avec l’objet, généralement la mère, se reflète dans toutes les relations ultérieures.
Le bébé qui obtient chaleur, confort, sécurité et nourriture par la bouche grandit en considérant la cavité buccale comme un organe de confort comme le révèle la succion du pouce. La cavité buccale nous permet de manger, de boire, de mordre, de mâcher, de sucer, de respirer, de fumer et de nous livrer à d’autres activités agréables.
De plus, comme le signalent Gerschman, Reade et Burrows (9), la bouche est directement ou symboliquement associée aux passions et aux instincts humains majeurs tels que l’auto-préserva-tion, la cognition, l’amour et la sexualité, la haine et le désir de blesser, de tuer ou de détruire.
L’importance de l’expérience orale est reflétée par la représentation de la bouche et de la langue au niveau du cortex cérébral. La quantité de région corticale affectée à la main, au pouce, à la bouche et à la langue est disproportionnée par rapport à la région représentant l’entrée sensorielle pour le reste du corps.
Par ailleurs, comme l’observe Marcus (10), la cavité buccale représente le port d’entrée de la vie: «La vie commence avec le premier cri du bébé permettant à l’air d’entrer à travers la bouche ions les poumons et ainsi le cycle de respiration rythmique commence et continue toute la vie. »
De plus, la bouche joue un rôle primordial dans la communication avec le monde extérieur. Elle est également la porte d’entrée de microbes responsables de maladies et des médicaments qui permettent de lutter contre elles.
La cavité orale joue aussi un rôle capital dans l’apparence esthétique. Milton Erickson (5) rapporte le cas d’une jeune fille de vingt et un ans qui n’osait pas sourire à cause d’un «large espace disgracieux entre deux dents supérieures de devant » que la patiente considérait comme «horrible». Quand Erickson la persuade avec difficulté de lui montrer cette anomalie, il constate que l’espace en question mesure environ un huitième de pouce (à peu près 3 millimétrés).
Par ailleurs, la cavité buccale devient un organe symbolisant la vieillesse où la perte des dents représente la perte du pouvoir, le déclin physique et sexuel avec toutes leurs conséquences psychogiques ainsi que la mort
Dans toutes les langues du monde existent des expressions se rapportant à la cavité buccale, ce qui confirme la signification psychodynamique de cet organe: avoir une dent contre quelqu’un, avaler une mauvaise nouvelle, cracher de l’argent, ne pas cracher sur une offre, paroles douces, en avoir plein la bouche, donner sa langue au chat, avoir la langue bien pendue, avoir la langue fourchue, cracher dans la soupe.
Compte tenu de l’importance psychologique associée à la cavité buccale, il n’est pas étonnant que l’exposition de cette région à la manipulation par une autre personne perturbe de nombreux patients.
Chez les patients, des mécanismes émotionnels complexes et puissants se déclenchent pendant les soins dentaires. Souvent, les patients ressentent une anxiété importante qui peut être due principalement aux facteurs suivants :
– peur de la douleur,
– peur de perdre le contrôle de soi,
– peur de paraître ridicule en régressant à un comportement infantile,
– peur d’être évalué négativement par le personnel dentaire du fait qu’ils ressentent ces émotions,
– peur d’être critiqué pour la négligence de l’hygiène buccale.
Les patients n’expriment pas fréquemment ces pensées et ces émotions d’une manière ouverte. Mais quand on leur pose des questions à ce sujet, presque la moitié des patients reconnaît considérer les soins dentaires comme un moment difficile à vivre. Ainsi, ils imaginent des choses négatives et ils se livrent à des modes de pensée qui amplifient les aspects inquiétants et anxiogènes de leur expérience chez le chirurgien-dentiste. En conséquence, ils attendent une très grande douceur de la part du chirurgien-dentiste.
Etant donné que tous les jours, le chirurgien-dentiste s’occupe d’une région hautement chargée sur le plan émotionnel, l’exercice de sa profession l’entraîne déjà dans le domaine de la psychothérapie, qu’il le veuille ou non, qu’il en soit conscient ou non. Se pose alors la question de savoir où commence la psychothérapie ? Selon Marcus, « une tape sur le dos, une remarque encourageante, votre ordonnance, le soulagement de la douleur, le traitement même d’une condition douloureuse ou gênante d’un point de vue esthétique, surtout si ces actions s’accompagnent d’une approche positive, suggestive et rassurante, tout cela c’est de la psychothérapie»

De plus, quelle que soit la méthode utilisée, le traitement des habitudes – bruxisme, tics, succion du pouce, onychophagie – relève de la psychothérapie.
Le chirurgien-dentiste a donc intérêt à élargir le champ de ses connaissances et de ses compétences afin de mieux traiter certains problèmes dentaires associés à des facteurs psychologiques, tout en restant dans le cadre de l’exercice de sa profession.
L’hypnose permet au chirurgien-dentiste de soigner ses patients dans le calme et dans la sérénité. Constituant un état de détente musculaire induit par des suggestions, l’hypnose est caractérisée également par un calme intérieur et une diminution importante du niveau de l’anxiété du sujet. Ainsi, il devient plus facile au chirurgien-dentiste d’obtenir la coopération du patient, d’une part, et de dispenser ses soins sans stress, d’autre part.
La fréquentation et le traitement quotidiens de personnes anxieuses, tendues et crispées finissent par causer un stress prolongé pour le chirurgien-dentiste, ce qui peut avoir des répercussions, non seulement sur la qualité des soins, mais aussi sur le propre équilibre du praticien. Aussi l’hypnose apporte-t-elle une meilleure qualité de vie pour le chirurgien-dentiste.
Outre la réduction de l’anxiété et de l’appréhension, l’hypnose présente de nombreux avantages pour le patient. 90 % des patients du chirurgien-dentiste peuvent bénéficier, d’une manière ou d’une autre, de l’hypnose.

Principales applications de l’hypnose en odontologie :
– Relaxation générale du patient : la relaxation hypnotique permet de réduire considérablement le niveau de stress et d’anxiété du patient;
– traitement de phobies particulières : les techniques hypnotiques peuvent être utilisées pour traiter les phobies liées à des problèmes précis : peur de la douleur et de l’inconfort, peur des piqûres, peur des bruits et des odeurs dans le cabinet dentaire, peur de perdre le contrôle de soi ;
– contrôle des lipothymies ;
– tétanisation des muscles élévateurs de la mandibule ;
– relâchements musculaires pour l’étude des rapports intermaxillaires;
– adaptation au port des prothèses : les suggestions hypnotiques peuvent aider à renforce la motivation du patient, à augmenter la tolérance et à réduire l’inconfort lié au port des prothèses;
– traitement du réflexe nauséeux
– préparation du patient pour l’anesthésie locale ;
– réduction de l’emploi d’analgésiques chimiques: Morse (11), chirurgien-dentiste, rapporte que l’hypnose lui permettait soit d’éliminer, soit de réduire le besoin d’anesthésie locale chez les patients suivant un traitement endodontique. De plus, la durée du traitement n’a augmenté que de cinq minutes approximativement, contrairement à la notion largement répandue que l’hypnose demande beaucoup de temps ;
– contrôle de l’inconfort et de la douleur post-opératoires ;
– production de l’amnésie;
– contrôle de la salivation et du saignement: Enqvist et ses col
lègues (4) ont constaté une réduction de 30 % de perte de sang pendant la chirurgie chez les patients du groupe expérimental par rapport aux patients du groupe contrôle. Les patients du groupe expérimental ont écouté des cassettes de relaxation hypnotique avant et pendant la chirurgie maxillo-faciale. Cette réduction est probablement due à une baisse de la tension artérielle dans le groupe traité par des suggestions hypnotiques enregistrées sur
cassette.
– traitement des syndromes de douleurs chroniques faciales telles que le désordre temporomandibulaire et le tic douloureux;
– traitement des habitudes orales inappropriées, y compris le bruxisme, les tics, la succion du pouce et l’onychophagie.
Pour toutes ces applications de l’hypnose en odontologie, le chirurgien-dentiste peut utiliser les quatre approches citées précédemment.

L’induction hypnotique peut s’effectuer de différentes manières. Le chirurgien-dentiste peut proposer au patient de fermer les yeux et de relaxer les groupes de muscles de la tête aux pieds. Ou il peut inviter le patient à revivre une expérience positive du passé ou à s’imaginer dans un lieu spécial associé à des sensations et à des émotions agréables.
Ainsi, quand le patient est en état hypnotique, le praticien peut employer des suggestions directes, par exemple pour renforcer le calme et la détente ou pour contrôler la salivation et le saignement.
Il peut également recourir à des suggestions post-hypnotiques pour gérer efficacement les problêmes vécus par le patient à l’extérieur du cabinet dentaire (adaptation au port des prothèses, tics, succion du pouce…). Une suggestion post-hypnotique est une suggestion donnée pendant la séance d’hypnose pour que l’effet se manifeste après la séance.
Dans certains cas comme pour le contrôle de la salivation, le praticien peut avoir recours à un conditionnement par image. Il peut demander au patient hypnotisé d’imaginer un barrage bloquant l’arrivée de la salive à la bouche. Ainsi, la bouche devient et reste sèche pendant les soins. Après avoir terminé son travail, le chirurgien-dentiste proposera au patient d’enlever le barrage et de saliver normalement. À ce stade, on constate une salivation excessive qui se normalise rapidement. Ce contrôle de la salivation peut s’effectuer même en état léger d’hypnose.
Pour certains problèmes tels que le bruxisme ou le désordre tem-poromandibulaire, l’hypno-analyse se révèle indispensable pour traiter les facteurs psychologiques et inconscients responsables de ces troubles. Le praticien fera parler le patient en état d’hypnose pour obtenir des informations sur les causes inconscientes ou émotionnelles du problème. Par exemple, les causes fréquentes révélées par l’hypno-analyse dans le traitement du bruxisme sont: stress, colère refoulée, obligation de subir une situation désagréable du présent que la personne ne peut modifier dans l’immédiat.
Pour certains problèmes comme la succion du pouce, le chirurgien-dentiste peut adopter une approche éricksonienne. Une des particularités de l’hypnose éricksonienne est d’accepter le comportement du patient et de l’utiliser pour produire le changement approprié. Ainsi, dans le cas d’un enfant qui suce le pouce, le praticien peut attirer l’attention du patient hypnotisé sur le fait que ce dernier a le droit de sucer son pouce. Il peut signaler qu’en suçant le pouce, l’enfant ignore les autres doigts qui méritent également d’être traités de la même manière. Il donnera la suggestion post-hypnotique que chaque fois que l’enfant sucera son pouce, il sucera également tous les autres doigts. L’enfant exécutera la suggestion post-hypnotique et sera ainsi très vite libéré de cette habitude.
Quel que soit le problème traité, le chirurgien-dentiste peut obtenir plus facilement la coopération du patient en lui enseignant l’auto-hypnose. Ainsi, aux séances suivantes, le patient peut se mettre en auto-hypnose très rapidement – en une ou deux minutes – ce qui permet au praticien de commencer les soins sans perdre de temps.
Par ailleurs, le chirurgien-dentiste peut se servir de l’auto-hypnose dans un but personnel pour mieux gérer son stress et pour dispenser ses soins dans le calme et dans la détente.

CONCLUSION
L’hypnose en odontologie ne peut être considérée comme un traitement complet. Elle n’est pas non plus une panacée. Cependant,

elle reste un outil thérapeutique complémentaire qui peut être utile pour le chirurgien-dentiste de différentes manières.
La pratique de l’hypnose conduit le chirurgien-dentiste à développer une vue plus large des soins dentaires. Au lieu de se limiter aux aspects techniques de la profession, il en arrive à s’intéresser au patient dans sa totalité. Il est amené à réfléchir non seulement sur la psychodynamique de la relation hypnotique mais aussi sur sa relation quotidienne avec ses patients.

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13) VARMA D. Se libérer du tabac par l’hypnorelaxation. Sainte-Ruffine (Moselle), Maisonneuve, 1993; 25.
14) VARMA D. L’hypnose dans le traitement des migraines et des céphalées de tension. Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 1999. 9Ê

Source : D Varma Docteur es lettre, docteur en psychologie, formateur en hypnothérapie et psychologue clinicien.
le CDF n°1223 (Septembre 2005)