Pharmacovigilance de la bouche sèche

INTRODUCTION :
Une initiation à la pharmacovigilance et à l ’établissement d’une imputabilité peut reposer sur
un cas simple en apparence, la sécheresse buccale. Il s’agit d’un symptôme fréquemment rencontré en médecine générale et qui précisément peut-être induit par le médicament. Les causes et les conséquences de la bouche sèche seront abordées comme illustration de la démarche initiale enclanchée lors d’une notification.

A – LES CAUSES DE LA SECHERESSE BUCCALE
Bien que classiquement négligée, la sécheresse buccale est fréquente dans la population générale (0,5 à 20 %) et doit constituer un signe d’appel impliquant une recherche étiologique reposant non seulement sur l’interrogatoire mais encore sur la pharmacovigilance et des explorations paracliniques (par exemple : mesure du flux salivaire, sialographie ou mieux scintigraphie voire IRM des glandes salivaires et des parotides, biopsie…).Face à une plainte ou un constat d’hyposialie (ou xérostomie), deux grands chapitres sont à envisager (souvent intriqués) : 1) une pathologie sous-jacente ; 2) un médicament.

I. LA BOUCHE SECHE : UN SIGNE D’APPEL
1. Le syndrome de Gougerot-Sjögren primitif (SGS) est la première pathologie à évoquer ; il s’agit d’une exocrinopathie caractérisée par une sécheresse buccale (inconstante) associée
à une tuméfaction intermittente (douloureuse et asymétrique) des glandes salivaires. La
xérophtalmie doit être recherchée et conduit à parler de syndrome sec.

2. Les SGS secondaires sont causés par une autre maladie, souvent autoimmune ; par ordre
décroissant de prévalence, nous citerons : la polyarthrite rhumatoïde, la sclérodermie
(surtout dans sa forme CREST), la cirrhose biliaire primitive, le lupus érythémateux disséminé, le syndrome de Sharp, l’hépatite chronique.
Les dysthyroïdies sont à rechercher de manière systématique et à distinguer de l’hyposialie
secondaire au traitement des cancers thyroïdiens par l’iode radioactif.

3. La sarcoïdose et plus rarement l’amylose intègrent un syndrome sec au reste de la
symptomatologie.

4. Les affections virales sont classiquement accompagnées de syndrome sec : virus de l’hépatite C, VIH, HTLV-1.

5. De multiples autres causes sont connues, à savoir : le reflux gastro-oesophagien, le déficit de la fonction de mastication (altération de la denture, douleur, pathologie temporomandibulaire,
parodontopathies), les neuropathies (le SGS peut s’accompagner de manifestations neurologiques centrales et périphériques), la maladie des griffes du chat, la radiothérapie de l’étage céphalique, la maladie du greffon contre l’hôte, les cancers en
phase terminale, les lymphomes, les syndromes anxio-dépressifs. L’avancée en âge, enfin, se traduit par une augmentation de la prévalence de la xérostomie (20 % à 20 ans ; 37 % à 70 ans).

II. LA IATROGENIE
De très nombreux médicaments induisent, presque toujours de manière réversible, une bouche sèche (pour revue voir Madinier et al, 1997 ; Tribout et al 2001). Presque tous les évènements décrits sont de type A, c’est à dire explicables pharmacologiquement et doses-dépendants
(perturbations des systèmes ortho-et para-sympathiques, modifications des équilibres
électrolytiques). On comprendra que tous les anticholinergiques induisent une xérostomie,
quelle que soit leur indication : antiparkinsoniens (trihexyphénidyle), antiémétiques et antivertigineux (scopolamine), antispasmodiques (propanthéline) ; de manière indirecte on
explique ainsi la responsabilité des antihypertenseurs centraux (clonidine) ou spécifiques tels les bêta-bloqueurs (metoprolol), les antagonistes calciques (diltiazem), des antidépresseurs tricycliques (amitriptyline, clomipramine) ou non [maprotiline, inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (fluoxétine) et de la noradrénaline (venlafaxine)], des antipsychotiques
conventionnels (halopéridol, clopixol, flupentixol, largactil …) ou non (clozapine, olanzapine, amisulpride …). Tous les antihistaminiques de type H1, utilisés comme antiallergiques ou anxiolytiques sont inducteurs d’hyposialorrhée (acépromazine,
cyproheptadine …) alors que les anti H2 le sont à un degré moindre (ranitidine …).
Les activateurs de la transmission aminergique réduisent le flux salivaire : amphétamine,
agonistes dopaminergiques (antiparkinsoniens). Tous les diurétiques et les analogues de
l’hormone antidiurétique sont incriminés.
Les xérostomies de type B sont dues à des classes très variées : les analgésiques notamment
les morphiniques (néfopam, buprénorphine, codéïne …), les inhibiteurs de la Na/K- ATPase
(digoxine), les interférons alpha (2a-2b), les rétinoïdes, les triptans (antimigraineux), certains
anticancéreux (pentostatine), des anticonvulsivants (carbamazépine) et un antispastique
(baclofène).
Des produits de l’environnement sont à citer : tabac, alcool, cannabis, ail …

B – LES CONSEQUENCES DE LA SECHERESSE BUCCALE
Bien qu’il n’y ait pas systématiquement corrélation entre xérostomie (plainte, sensation de
bouche sèche) et hypofonction salivaire (réduction objective de la quantité de salive produite
par les glandes salivaires) il est important, dans ces deux cas de figure, de répertorier les conséquences locales et générales (somatiques et psychologiques) d’une telle situation. Très souvent ce sont ces conséquences de la sécheresse buccale qui amèneront le patient à consulter. A l’inverse leur connaissance aidera à la prévention.

I. CONSEQUENCES LOCALES
1. Mécaniques
Une hyposalivation sévère et prolongée entraîne une gène pour parler, mastiquer et déglutir. Des sensations de brûlures buccales sont usuelles aggravées par les aliments épicés et les acides. Des fissures douloureuses des commissures labiales et de la recapture ainsi que les ulcérations buccales et des lèvres surviennent. Glossodynie et dysgueusie en sont la conséquence. L’absence de salive conduit à une accumulation locale des acides et des sucres.

2. Infectieuses
L’hyposialie modifie la flore microbienne locale et se complique d’infections buccales. Les infections fongiques sont fréquentes et récidivantes. Les infections bactériennes sont la source de gingivites, de parodontites et de carie à progression rapide, le tout conduisant à une détérioration de l’état dentaire pouvant même aboutir à une édentation. La fragilisation des muqueuses et une intolérance aux prothèses dentaires sont classiques de même que l’extension de l’infection aux glandes salivaires (sialadénites).

3. Pharmacologiques
Ces conséquences bucco-dentaires peuvent retentir sur la pharmacologie (cinétique) des médicaments administrés par voie orale (la salive intervient dans le processus de solubilisation de comprimés, dans la déglutition et « l’explosion » des comprimés au niveau gastrique). Les produits d’hygiène buccale pourront être mal tolérés du fait de l’altération des muqueuses. L’ensemble nuira à la comp liance (observance).

II. CONSEQUENCES GENERALES
1. Somatiques

De manière directe toute hyposalivation retentira sur les fonctions multiples assurées par la cavité bucco-dentaire : mastication, alimentation, digestion, parole/phonation, gustation. L’absence de salive contribue au reflux oesophagien ainsi que classiquement à la sensation permanente de soif et à une modification de l’haleine. A terme et au pire, des conséquences sur la nutrition (perte de poids) et les plaisirs de l’oralité sont à craindre.
De manière indirecte, la xérostomie secondaire (maladie générale, collagénose, médicaments
…) exposera aux conséquences et à l’évolution de l’étiologie elle -même (maladie autoimmune,
hépatite C, cancer irradié de l’étage céphalique). En cas d’hyposalivation induite par les médicaments, il importe de rappeler que cette sécheresse peut concerner toutes les autres muqueuses dont celles de l’appareil génital.

2. Psychologiques
Nous n’aborderons pas ici les conséquences neurologiques et psychiatriques de certaines
maladies causes de bouche sèche (rappelons que le SGS peut conduire à des lésions multifocales mimant la sclérose en plaques ainsi qu’à troubles des fonctions supérieures). Par contre la bouche sèche, et ses conséquences, pour des raisons tant physiologiques qu’esthétiques, retentissent profondément sur l’humeur, le comportement social et la recherche du plaisir de l’oralité. En cas de pathologie psychiatrique l’on conçoit aisément la
sévérité et le caractère aggravant de toute thérapeutique inductrice de xérostomie. Dans tous
les cas, la bouche sèche dépasse le simple concept de gêne et doit être considérée comme une
atteinte à la qualité de vie (QV), même si pour l’instant aucune échelle standardisée de QV
n’intègre cette notion. A cet égard, en pharmacologie clinique l’absence d’induction d’hyposialorrhée par un nouveau médicament appartenant à une même classe doit être considérée comme un progrès et donc un argument de choix thérapeutique. Ces réflexions
s’appliquent au traitement des hypersialorrhées, notamment par la toxine botulique de type A.


SOURCE : Hervé Allain, Pascale Mathieu, Elisabeth Polard publié en version pdf par l’Université de Rennes : PHARMACOVIGILANCE DE LA BOUCHE SECHE (à télécharger)”

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