Influence des glucides sur la carie dentaire et les parodontopathies

Extrait du récent rapport de l’AFSSA (Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments), « glucides et santé, état des lieux, évaluations et recommandations »

Les pathologies bucco-dentaires en rapport direct avec les produits du métabolisme des
glucides par les bactéries sont la carie dentaire et la maladie parodontale. Les études sur le
développement de la carie dentaire et les différentes formes de la maladie parodontale sont
extrêmement nombreuses. La synthèse de ces données est présentée dans ce document.

9.4.1 La carie dentaire
Le processus carieux résulte d’une interaction de 3 facteurs :
– l’hôte avec la qualité de son tissu dentaire et la composition de sa salive,
– les bactéries cariogènes du biofilm (plaque bactérienne),
– les glucides fermentescibles.

9.4.1.1. L’hôte
– la dent : l’état de la surface de la dent joue un rôle important dans la formation de la plaque
bactérienne. Une surface dentaire altérée favorise la rétention des bactéries et leur
multiplication.
– l’émail dentaire : il joue un rôle clé dans le processus carieux initial. Un défaut dans sa
structure (hypoplasie) est un facteur de risque carieux.
– la salive : elle possède un pouvoir tampon vis-à-vis des acides produits par le métabolisme
bactérien de certains glucides (Tukia-Kulmala, 1993), (Edgar et al, 1994 et 1995 ). Le
pouvoir tampon est assuré pour l’essentiel par les bicarbonates salivaires. La concentration
des bicarbonates salivaires et autres composants impliqués dans le pouvoir tampon dépend
du débit salivaire : plus le débit est élevé, plus le pouvoir tampon salivaire est efficace
(Shannon et al, 1974). Le lien entre la carie dentaire et la baisse du pH de la plaque dentaire
et du pH salivaire a été confirmé par de nombreuses études dont celle de Lingstrom
(Lingstrom et al, 2000a).

9.4.1.2. Les bactéries cariogènes du biofilm
Après un nettoyage professionnel, les surfaces dentaires sont propres et donc dépourvues
de toute présence bactérienne. Trois à quatre heures plus tard, une couche de protéines,
essentiellement d’origine salivaire va se déposer sur les dents, c’est la pellicule acquise. Les
bactéries, hôtes habituels de la cavité buccale, vont coloniser la pellicule acquise par
couches successives et former le biofilm. La salive et certains glucides alimentaires comme
le saccharose jouent un rôle important dans la formation du biofilm (Rudney, 2000). Le flux
salivaire véhicule les bactéries vers les dents, mais en même temps assure partiellement
leur élimination ; le métabolisme du saccharose par les bactéries aboutit, entre autre, à la
formation de polysaccharides intracellulaires (glycogène) assurant l’énergie nécessaire à la
survie et au développement des bactéries et, d’autre part, à la formation de polysaccharides
extracellulaires (glycanes et fructanes) qui constituent l’essentiel de la matrice
interbactérienne. Matrice et bactéries constituent le biofilm.

Les premières couches bactériennes du biofilm sont des bactéries aérobies. Au fur et à mesure de leur
multiplication, les conditions d’anaérobiose devenant favorables, les bactéries anaérobies
vont progressivement se développer au détriment des aérobies. Schématiquement le biofilm
supra-gingival est à forte prédominance d’aérobies alors que le biofilm sous-gingival est à
forte prédominance d’anaérobies. Les bactéries cariogènes se développent dans le biofilm
supra-gingival et les bactéries impliquées dans la maladie parodontale dans le biofilm sousgingival.
Le pouvoir cariogène d’une bactérie est lié à sa capacité de métaboliser un glucide
fermentescible pour aboutir à la production d’un acide à fort pouvoir de dissolution des
phosphates de calcium de l’émail. C’est le processus de déminéralisation.
– Le Streptococcus mutans est la bactérie la plus impliquée dans le processus carieux initial
de l’émail dentaire, aussi bien au niveau des surfaces lisses qu’au niveau des sillons et des
fosses. Le potentiel cariogène de cette bactérie est considéré comme étant le plus important
de toutes les bactéries de la plaque bactérienne (Kohler et al, 1981), (Salonen et al, 1990),
(Bowden, 1997), (van Ruyven et al, 2000), (Kleinberg, 2002), (Seki et al, 2003 ).
– D’autres streptocoques possèdent un pouvoir cariogène mais moindre que celui de
streptocoque mutans. Parmi ces bactéries on retrouve : S. sobrinus , S. sanguis , S. mitis ,
S. salivarius …
– Les lactobacilles et certaines variétés d’actinomyces sont particulièrement impliqués dans
les caries des racines dentaires (Van Houte et al, 1990), (Zambon et al, 1995), (Reiker et al,
2000).

9.1.3.Les principales phases du processus carieux initial
Elles peuvent être schématisées ainsi :
– la formation et développement du biofilm à la surface de l’émail dentaire.
– les bactéries cariogènes (Streptococcus mutans…) métabolisent les glucides
fermentescibles d’origine alimentaire (saccharose…) ou à défaut, les polysaccharides de la matrice du biofilm. Ce métabolisme aboutit à la production d’acides organiques dont le plus
important est l’acide lactique qui va entraîner une baisse du pH salivaire et du biofilm (de 7 à
4,5).
– la présence d’acides sur la surface dentaire va entraîner une déminéralisation de l’émail
par un processus de dissolution de cristaux d’hydroxyapatite avec libération de Ca et PO4
sous forme d’ions.
– ce processus de déminéralisation débute environ 15 minutes après l’ingestion alimentaire
et dure entre 40 à 60 minutes : c’est le pic de « l’attaque acide ».
– en l’absence d’un nouvel apport glucidique, les bicarbonates salivaires vont neutraliser les
acides et rétablir un pH neutre qui va permettre à l’émail de se réminéraliser. Dans ce cas le
processus carieux ne se développe pas. En revanche si les apports glucidiques sont
fréquents (grignotage), le pouvoir tampon de la salive sera insuffisant pour neutraliser
l’action déminéralisatrice des acides et le processus carieux sera initié.
– la consommation de saccharose au cours des repas ne provoque pas le développement de
la carie dentaire mais la consommation pluriquotidienne entre les repas, des glucides
fermentescibles est particulièrement nocive (Baron et al, 1996), (Moreno et al, 1979), (Hicks
et al, 2003a).

9.4.1.4. Les glucides alimentaires
– Le saccharose est le glucide alimentaire le plus consommé dans l’alimentation des sociétés
actuelles. Il a été largement étudié pour comprendre les causes et les mécanismes de
développement de la carie dentaire.
– Le glucose – fructose – lactose et maltose n’ont pas fait l’objet d’études spécifiques, mais
sont cités dans quelques publications sur le saccharose comme glucides dont l’influence sur
la carie dentaire est faible car leur consommation entre les principaux repas est rare et leur
présence dans la cavité buccale est courte car ingérés sous forme liquide le plus souvent
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(lactose du lait, fructose du jus de fruits), (Touger-Decker et al, 2003). Toutefois, ces
glucides en présence de bactéries cariogènes sont métabolisés comme le saccharose avec
production d’acide lactique.
– L’amidon n’est pas directement métabolisé par les bactéries cariogènes. L’amidon est
hydrolysé par l’alpha-amylase salivaire en glucose, qui sera à son tour métabolisé par les
bactéries cariogènes. A ce titre, l’amidon a été considéré comme un glucide jouant un rôle
dans le développement de la carie dentaire (Scannapieco et al, 1993 ). Une étude récente
(Lingstrom et al, 2000b) précise qu’une alimentation uniquement à base d’amidon ne
provoque pas le développement du processus carieux ; les auteurs estiment que la
cariogénicité de l’amidon est liée à d’autres facteurs : fréquence d’ingestion, temps de
présence en bouche, débit salivaire et présence d’autres glucides fermentescibles. Les
publications sur l’amidon sont relativement rares par rapport à celles portant sur le
saccharose.
– Les polyols :
o Le xylitol : glucide non fermentescible, il a une action cario-préventive lorsqu’il est
utilisé comme substitut partiel ou total du saccharose. De différentes études (Trahan,
1995), (Dumas et al, 1980), (Verran et al, 1982), (Loesch, 1984), (Levine, 1986),
(Baron et al, 1996), il ressort que :
– pratiquement aucune bactérie du biofilm ne métabolise le xylitol. Le risque carieux est
donc quasiment nul avec ce glucide,
– il réduit la croissance du Streptococcus mutans,
– il réduit la quantité de S. mutans dans le biofilm et dans la salive,
– utilisé comme composant de gomme à mâcher, il réduit le risque carieux.
o Le sorbitol, utilisé parfois comme substitut du saccharose dans certains
chewing-gum, pastilles à sucer ou dentifrices, est considéré comme faiblement
cariogène (Birkhed et al, 1984).
En 2001 après la revue de la littérature concernant une quarantaine d’études sur les sucres
de substitution, Hayes concluait ainsi :
– le sorbitol et le xylitol sont peu ou pas cariogènes,
– une baisse de la carie dentaire de l’ordre de 30 à 60 % est constatée chez les
personnes utilisant des dentifrices ou mastiquant régulièrement du chewing-gum à
base de sorbitol ou de xylitol ou de l’association des deux.

9.4.1.5. Le fluor
Les études sur le fluor dans la prévention de la carie dentaire sont nombreuses, leurs
conclusions peuvent être résumées ainsi :
– le fluor a une certaine action inhibitrice sur les bactéries cariogènes,
– la présence du fluor (10 à 100 ppm) inhibe la production d’acide par les bactéries du
biofilm,
– les ions fluor en s’associant aux ions calcium et phosphates de l’émail, libérés lors de la
déminéralisation secondaire à l’attaque acide, vont accélérer le processus de
réminéralisation et transformer la structure de l’émail en fluoropatite plus résistant aux
attaques acides que l’hydroxyapatite,
– certains auteurs recommandent la fluoration de l’eau de ville, d’autres préconisent des
dentifrices fluorés, d’autres encore recommandent les applications topiques (Featherstone et
al, 1990 et 1999), (Petersson et al, 1995), (Baron et al, 1996), (ten Cate, 1997 et 1999),
(Hicks et al, 2003b).
Depuis l’utilisation de telles méthodes, au cours des années 70, l’incidence des caries
dentaires est en significative régression.

9.4.2. Les parodontopathies
Elles comprennent :
– les gingivites : maladies du parodonte superficiel qui sont réversibles
– les parodontites : maladies du parodonte profond qui sont irréversibles.
Dans les différentes formes cliniques de parodontites, seules quelques bactéries du biofilm
sont pathogènes (Porphyromonas gingivalis, Actinobacillus actinomycetemcomitans,
Fusobactérium sp) et n’ont aucun rapport connu avec les glucides alimentaires.
9.4.3. Conclusions
Elles reposent sur les données ci-dessus et deux revues générales parues en 2003 sur
l’alimentation et les maladies bucco-dentaires (Moynihan, 2003) (Touger-Decker et al, 2003).
– Le régime alimentaire n’a pas d’effet évident dans le développement ou la prévention de la
maladie parodontale.
– La relation entre la consommation de glucides fermentescibles et la carie dentaire est
évidente. La consommation d’un aliment contenant du saccharose et de l’amidon augmente
le risque carieux. La fréquence de consommation quotidienne de glucides fermentescibles
majore le risque carieux. Plus le temps de contact avec les glucides fermentescibles est long
(aliments collants), plus le risque carieux est important.
– La cariogénicité de l’amidon comme composant principal d’un aliment (pain, riz, autres
céréales) n’est pas évidente.
– La relation entre la carie dentaire et la consommation de fruits n’est pas démontrée. En
revanche les fruits stimulent la sécrétion salivaire dont le pouvoir tampon agit contre le
développement de la carie dentaire.
– Il existe une relation entre boissons acides (jus de fruits, sodas) et l’érosion dentaire (perte
progressive et irréversible de l’émail dentaire). L’érosion dentaire augmente le risque
carieux.
– La prévention de la carie dentaire passe par une réduction de la quantité et surtout de la
fréquence de consommation des glucides fermentescibles.
– Les polyols comme le xylitol et à un degré moindre le sorbitol ont une action cariopréventives.
– Le fluor est un élément important dans la prévention de la carie dentaire.
Pour la prévention de la carie dentaire les recommandations suivantes peuvent être
formulées :
– utilisation de comprimés ou dentifrices fluorés,
– brossage soigneux des dents après chaque repas et particulièrement avant le coucher,
– éviter la consommation d’aliments à base de glucides fermentescibles entre les repas,
– à défaut de brossage après les repas ou en cas de consommation d’aliments ou de
boissons riches en glucides, mastication de chewing-gum contenant du xylitol,
– chez le bébé, dès l’apparition des premières dents et jusqu’à 18 mois environ, les parents
doivent assurer eux-mêmes l’hygiène dentaire quotidienne du bébé avec une compresse ou
une petite brosse à dent souple. L’initiation au brossage individuel commencera donc vers
18 mois.
– le biberon de lait, de jus de fruits ou de toute autre boisson sucrée est déconseillé au
coucher car il peut être à l’origine de caries précoces des dents de lait,
– instaurer dès le plus jeune âge des habitudes alimentaires compatibles avec une bonne
santé bucco-dentaire : à ce titre, les dentistes et les pédiatres doivent jouer un rôle important
dans l’information et l’éducation des parents et de l’enfant.