Douleurs orofaciales Chroniques : facteur “Stress” ou facteur PSY ?

Il existe, à l’évidence, une plus grande prévalence des syndromes douloureux chroniques oro-faciaux chez les personnes dites “stressées” et cela est désormais bien documenté dans la littérature.
Concernant les douleurs des muscles masticateurs, Carlsson en 1993 (1) explore les différences physiologiques et psychologiques entre des patients présentant des douleurs des muscles masticatoires et des groupes contrôles normalisés (âge et sexe). Les sujets passent un certain nombre de tests psychologiques standards. Ils subissent ensuite une évaluation du “profil de stress” en laboratoire pour obtenir des mesures physiologiques (EMG, Fréquence cardiaque, TA systolique et diastolique) sous conditions de repos, de contrainte mentale et de relaxation. Les patients douloureux rapportent une plus grande anxiété, en particulier quant aux symptômes cognitifs, et des impressions de tensions musculaires incontrôlables. Sous contraintes, les patients douloureux présentent des fréquences cardiaques et de TA systoliques plus élévées que les groupes témoins. L’activité EMG de la région massétérine ne présente pas de différence significative entre les deux groupes. Les résultats sont discutés selon les mécanismes vraisemblables qui pourraient rendre compte des différences objectivées entre les patients douloureux à la mastication et les sujets normaux.

Concernant les stomatodynies et les algies faciales (2), selon “l’opinion publique médicale” les facteurs de risques psychologiques sont dominants et les douleurs chroniques sont alors considérés comme des troubles psychiatriques. Ces avis apparaissent aujourd’hui fondés sur des études de cas ou sur des travaux discutables (Gruber et al., 1996 ; Lascelles, 1966 ; Sharav, 1989 ; Rees, Harris, 1979). Les résultats positifs obtenus avec des psychotropes, comme les antidépresseurs tricycliques, ont été utilisés comme des arguments en faveur d’une origine psychogène (Gorsky et al., 1991 ; Lascelles, 1966) alors que l’activité antalgique de ces antidépresseurs est 7 largement indépendante de leur activité antidépressive (Eschalier, 1990 ; Magni, 1991 ; Onghena, Van Houdenhove, 1992), et que ces traitements sont également efficaces chez des patients non déprimés (Gruber et al., 1996 ; Harris, 1996).
Dans les Algies faciale la présence de signes psychologiques associés est rapportée par tous les auteurs. Les discussions concernent le type de dysfonctionnement en cause : la dépression, l’anxiété, la cancérophobie, le stress intense, la présence d’un événement familial ou professionnel déstabilisant dans les 6 mois ayant précédé l’apparition des symptômes, sont souvent cités (Feinmann et al., 1984; Harris, 1996; Feinmann, 1996; Pfaffenrath et al., 1993; Feinmann,Harris, 1984b), mais l’existence d’un lien causal entre ces facteurs et la maladie algique est très discutée (Feinmann, 1996; Wu et al., 1998).
Dans la prise en charge, des techniques spécifiques, cognitivo comportementales, relaxation, hypnose,psychothérapie ou diverses formes de physicothérapie ont été préconisées (Bergdahl et al., 1995; Feinmann, 1996).
Dans les stomatodynies les désordres psychiques sont également rencontrés, parmi lesquels la dépression, l’anxiété, la cancérophobie sont les plus fréquemment citées (5) constatent l’existence de deux groupes d’égale importance dans leur échantillon de patients atteints de stomatodynie : l’un présente plus de symptômes d’anxiété, de dépression,
d’obsession, de somatisation et d’hostilité que le groupe témoin ; l’autre, au contraire, ne s’en distingue pas. Ceci indique que l’anxiété et la dépression sont fréquentes, mais sont loin d’être présentes dans tous les cas
Le rôle longtemps mis en avant des événements de vie dans le déclenchement de douleurs “ psychogènes ” orofaciales (Feinmann, 1996 ; Feinmann et al., 1984 ; Hammaren M., Hugoson, 1989 ; Pfaffenrath et al., 1993 ; Violon, 1980) a été clairement réfuté par l’introduction d’un groupe témoin dans le protocole des études (Eli et al., 1994 ; Marbach et al., 1988). Il a également été suggéré qu’un profil de personnalité particulier pouvait constituer un facteur de risque des douleurs orofaciales. Il existe actuellement un consensus pour considérer qu’une telle personnalité à risque n’existe pas (Graff-Radford, Solberg, 1993 ; Feinmann, 1996 ; Graff-Radford, Solberg, 1991 ; Gamsa, 1994 ; Smith et al., 1969 ; De Kanter et al., 1993). Néanmoins, des valeurs élevées sur les échelles psychométriques sont retrouvées chez nombre de patients atteints d’algies oro-faciales idiopathiques (Marbach, 1993a). Ainsi il est bien établi qu’il existe une co-morbidité entre stomatodynie d’une part et anxiété et dépression d’autre part (4). Une telle corrélation existe aussi probablement pour les algies faciales atypiques et les dysfonctionnements de l’appareil manducateur (Feinmann et al., 1984 ; Smith et al., 1969 ; Derbyshire et al., 1994 ; Gerke et al., 1992 ; De Kanter et al., 1993) mais est beaucoup plus discutée en ce qui concerne les odontalgies atypiques (Graff-Radford, Solberg, 1993 ; Marbach, 1993a). Les patients qui souffrent d’ADAM de manière persistante présentent des altérations de l’humeur (de Leeuw et al., 1994 ; Marbach, 1992 ; Schulte et al., 1993 ; Parker et al., 1993) au contraire de ceux atteints d’ADAM non douloureux (Turk, Rudy, 1987). Les corrélations entre facteurs psychologiques et douleurs oro-faciales idiopathiques ne sont cependant pas présentes dans tous les cas. Plusieurs études ont montré que seule une souspopulation de patients douloureux oro-faciaux présentent des troubles psychologiques (Feinmann et al., 1984 ; Rojo et al., 1994 ; Browning et al., 1987 ; Zilli et al., 1989 ; Feinmann, Harris, 1984a). D’autre part, ces corrélations ne sont pas plus marquées que dans beaucoup d’autres douleurs chroniques (Schnurr et al., 1990). 8 Ainsi les troubles psychologiques pouraient être dans de nombreux cas, la conséquence et non la cause de la douleur (Gamsa, 1994). Dans ce contexte, des études longitudinales restent nécessaires pour révéler l’existence d’une relation causale entre facteurs psychologiques et algies oro-faciales idiopathiques. De telles études portant sur d’importantes cohortes de patients présentant des dysfonctionnements de l’appareil manducateur ont montré que les échelles de dépression n’étaient que faiblement prédictives de l’apparition de ce type de douleurs de la face (Von Korff et al., 1990).
Dans l’approche psychologique des syndromes douloureux des Dysfonctions Cranio Mandibulaires il ne faut pas non plus négliger la présence de pathologies chroniques existante induisant une plus grande somatisation.
Dans l’étude de DWORKIN SF, MASSOTH DL (3) les troubles de l’articulation temporo-mandibulaire (DCM) sont examinés sous l’angle bio-psycho-social ou d’une maladie psychosomatique. La pathogénie des DCM est étudiée en mettant l’accent sur le fait que les douleurs chroniques qu’elle présente sont associées à tout un ensemble de douleurs chroniques dites communes. Les DCM sont à placer dans le même modèle bio-psycho-social utilisé pour étudier et gérer toutes les conditions de douleurs chroniques dites communes. Dans le concept de la dysfonction associée à des douleurs chroniques, les recherches sur ce type de douleur et les façons de la gérer sont passées en revue de façon critique. La plupart des patients gérent leurs douleurs chroniques d’une façon à peu près adaptative vis à vis de leurs fonctions psycho-sociales. Par contre une partie de cette population présentant des douleurs chroniques associées à des troubles psycho-sociologiques apparaît comme incapable de faire face de façon aussi positive et présente des taux plus élevés de dépression, de somatisation et de recours aux soins, même si ces individus ne sont pas différents de ceux qui n’ont pas de dysfonction sur la base de l’observation de la pathologie organique.
Si l’on peut admettre la corélation Stress / Douleurs (avec ou sans pathologies chroniques associées) et l’existence de douleurs psychogènes peut ont affirmer pour autant que les douleurs oro-faciales puissent être associées à un facteur psychologiques tels sur des souvenirs douloureux ?
Dans son étude clinique de 1994, Hapak L. et al (6) a fournis à ses patients un auto-questionnaire composé de 21 questions, de diagrammes de localisation de la douleur principale et d’une échelle de douleur digitale a été utilisé de manière prospective pour répartir 92 patients en trois catégories : musculoligamentaires (DTM), dentoalvéolaires et neurogènes (migraines, névralgies essentielle du V, céphalées de type tensives, algies vasculaires de la face et douleurs faciales atypiques). La sensitivité, la spécificité ainsi que les caleurs prédictives positives et négatives suggèrent que ce questionnaire pourrait avoir un usage reproductible pour identifier des patients présentant des douleurs oro-faciales qui correspondraient aux catégories ci-dessus, sans connaissance préalable du diagnostic clinique.
Les résultats enregistrés à l’aide de l’échelle de la douleur digitale montrent que le niveau douloureux ne peut pas être corrélé à un type particulier d’algie, mais lorsque l’on utilise cette échelle pour décrire une expérience douloureuse passée, les patientes neurogènes sélectionnent les plus hautes valeurs 6 fois plus souvent que les patients musculoligamentaires et dentoalvéolaires. Les patients musculoligamentaies et dentoalvéolaires sélectionnent les plus basses valeurs 15 fois plus souvent que les patients neurogènes. Bien que ce questionnaire puisse être utilisé pour une catégorisation initiale de la douleur, il ne peut jamais se substituer à un historique exhaustif et un examen clinique.
En conclusion (2), l’existence d’une relation causale systématique entre les facteurs psychologiques ou émotionnels, les traits de personnalité ou un quelconque événement de vie et la présence d’une douleur oro-faciale idiopathique est loin d’avoir été complètement démontrée même si les facteurs psycho-sociaux (stress…) peuvent prédisposer certains individus à développer des douleurs (Okeson, 1996). Ils peuvent aussi constituer des facteurs d’entretien de douleurs déjà établies. Les douleurs psychogènes existent (Dworkin, 1992), mais elles sont rares, et leur diagnostic est un diagnostic d’élimination ne pas oublier aussi que des troubles psychologiques pourraient être dans de nombreux cas, la conséquence et non la cause de la
douleur (7).
Le cas général étant mieux illustré par l’affirmation de Gamsa (Gamsa, 1994), “ …psychisme et soma ne fonctionnent pas comme des entités isolées… chacun jouant un rôle complémentaire dans l’étiologie de la douleur ”.)


(1) J Orofacial Pain 1993;7(1):15-22)
(2)ALGIES OROFACIALES IDIOPATHIQUES : ENTRE DENI ET REALITE A. Woda Version du 23 mai 2001
(3)J Prosth Dent 1994;72(1):29-38,
(4) Eli et al., 1994 ; Rojo et al., 1994 ; Van der Ploeg et al., 1987 ; Zilli et al., 1989
(5)Eli et al., 1994; Rojo et al., 1994; Van der Ploeg et al., 1987; Zilli et al., 1989; Browning et al., 1987). Rojo et al. (Rojo et al., 1994)
(6) J Orofacial Pain 1994;8(1):357-368 Hapak L. et al
(7) Gamsa, 1994.
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