Une suractivité cérébrale nocturne causerait le bruxisme du sommeil

Le sommeil n’est pas toujours aussi calme qu’il y paraît. Il y a ceux qui ronflent, ceux qui parlent et ceux qui grincent des dents. Près de 60 pour cent des dormeurs ont des mouvements de mastication, mais certains grincent des dents si fort qu’ils réveillent leur conjoint. Au réveil, les muscles des mâchoires sont douloureux, et, plus grave, leurs dents s’usent : près des deux tiers de la hauteur des dents peuvent être abrasés. Les patients qui souffrent de ce trouble, nommé bruxisme, doivent porter des appareils de recouvrement dentaire pour protéger leurs dents durant le sommeil. Gilles Lavigne et Jacques Montplaisir, de l’Université de Montréal et de l’Hôpital du Sacré Cњur de Montréal, ont démontré que le bruxisme provient d’une suractivité cérébrale durant certaines périodes de la nuit.

Le bruxisme touche environ 8 pour cent des adultes et 14 pour cent des enfants. Le trouble diminue avec l’âge : seulement trois pour cent des personnes âgées en souffriraient. Ces personnes contractent les muscles de leurs mâchoires environ une fois par seconde, par série de trois à dix contractions, et ce jusqu’à dix fois par heure. Parfois, elles serrent les dents pendant près de deux minutes par heure, et la pression exercée dépasse la résistance de l’émail dentaire. Ces épisodes surviennent surtout durant les phases de sommeil léger (le sommeil lent est subdivisé en phases de sommeil léger et profond), mais rarement lors du sommeil paradoxal, caractérisé par une activité cérébrale intense (moins de dix pour cent des cas).
L’origine de ce trouble a longtemps été attribuée, à tort, à un mauvais contact entre les dents des mâchoires inférieure et supérieure. Les animaux, notamment les carnivores, mais aussi les vaches, grincent des dents pour entretenir le tonus des muscles masticateurs. Dans des situations d’agression, ce phénomène s’accroît. Selon une ancienne théorie, le bruxisme serait, chez l’homme, un vestige de ce comportement. De fait, les personnes atteintes de bruxisme seraient le plus souvent des personnes anxieuses et introverties.
G. Lavigne avance une explication différente. Il a montré que 90 pour cent des épisodes de bruxisme surviennent lors de « micro-éveils ». Chez tous les dormeurs, le sommeil est ponctué de micro-éveils, qui surviennent environ 15 fois par heure et durent quelques secondes. Ils permettraient au cerveau de vérifier s’il ne fait pas froid, s’il y a assez d’air et s’il n’y a pas de bruit menaçant, d’une part, et de contrôler la régulation des fonctions physiologiques, d’autre part. Ces phénomènes s’accompagnent d’une légère augmentation de l’activité cérébrale, du rythme cardiaque, de la respiration et du tonus musculaire. Les micro-éveils sont suffisamment courts pour que l’on n’en ait pas conscience. G. Lavigne a montré que, chez les personnes atteintes de bruxisme, ces micro-éveils sont jusqu’à trois fois plus « intenses » : le cњur bat plus vite, l’activité cérébrale est intense, enfin, les muscles des mâchoires se contractent, puis, dans la majorité des cas, la personne déglutit : tout se passe comme si l’éveil était plus marqué durant ces micro-éveils.
Selon G. Lavigne, le bruxisme résulte d’un trouble de la régulation de la mastication, laquelle est liée à la déglutition et à la respiration. La mastication est commandée par une aire cérébrale, nommée centre de genèse des patrons des mouvements rythmiques (la respiration est un mouvement rythmique). Ainsi, le bruxisme serait une manifestation extrême de l’activité masticatoire normale survenant pendant le sommeil : on grincerait des dents pour lubrifier la bouche et les dents, ou rétablir une oxygénation adéquate.

Source : Revue “Pour la Science” N° 314 – décembre 2003