Sécheresse buccale

Quoi de plus banal que la sécheresse buccale. Qui d’entre nous ne s’en est pas plaint un jour ou l’autre dans certaines circonstances comme une émotion, un stress, à l’occasion d’une obstruction nasale ou de la prise de certains médicaments. Avec un sens pratique, nous allons aborder les différentes étapes du diagnostic et de la prise en charge de la sécheresse buccale.

Xérostomie sévère avec perlèche(Photo DR)

1. Sécheresse buccale : simple sensation subjective ou réelle hyposialie ?

La sensation de bouche sèche est en général spontanément exprimée par le patient, mais une série de questions peuvent aider à mieux cerner le problème :
– Avez-vous la sensation quotidienne de bouche sèche ?
– Faut-il fréquemment boire pour avaler les aliments secs ?
– Boire de manière répétée soulage-t-il la symptomatologie ?
– La langue est-elle pâteuse ou collée au palais au petit matin ?
– Devez-vous boire la nuit du fait de la sensation de bouche sèche ?

2. La sécheresse buccale est-elle objective ?

L’état d’humidification de la muqueuse linguale et jugale est facilement apprécié par l’inspection de la cavité endobuccale. Le constat d’une langue complètement sèche au contact du doigt, associé à une sécheresse des muqueuses jugales est un signe de sévérité et doit faire éliminer une déshydratation intracellulaire.
L’hyposialie peut être objectivée par un test simple : le recueil de la sécrétion salivaire en situation basale non stimulée pendant quinze minutes. Ce recueil est facile à réaliser à l’aide d’une seringue de 20 ml par exemple : le patient est en position assise et crache pendant 15 min la salive qui arrive naturellement dans sa bouche. Si le volume recueilli en 15 min est inférieur à 1,5 ml, on parle alors de xérostomie objective.

3. Rechercher une cause médicamenteuse ou toxique

La liste des médicaments susceptibles de diminuer la sécrétion salivaire est longue. En pratique, il convient, avec la liste des médicaments pris par le patient, de contrôler la fiche Vidal. Les médicaments les plus souvent incriminés sont :
– les dérivés atropiniques ;
– les neuroleptiques ;
– les antalgiques opiacés faibles ;
– les antihistaminiques ;
– les antiparkinsoniens parasympatholytiques, certains médicaments antidépresseurs ;
– les benzodiazépines.
Le tabac constitue un facteur aggravant certain.

4. Le diagnostic de syndrome sec buccal est confirmé, jusqu’où aller dans les examens complémentaires ?

Le bilan étiologique d’un syndrome sec d’allure isolé peut être long et laborieux, sans toujours trouver une cause bien précise. La figure en encadré rassemble les principales causes. Il faut de toute manière se laisser porter par les données de l’examen clinique.
Pour simplifier et par ordre de fréquence, après avoir éliminer une cause médicamenteuse, les principales causes de sécheresse buccale sont :
– certains états anxiodépressifs ;
– le vieillissement ;
– une déshydratation parfois favorisée par la prise de diurétiques ;
– le syndrome de Gougerot-Sjögren primitif ;
– le syndrome de Gougerot-Sjögren qui peut être associé à une connectivite, surtout la polyarthrite rhumatoïde, le lupus systémique et la sclérodermie systémique.

5. Arguments pour le syndrome de Gougerot-Sjögren primitif

La prévalence du syndrome de Gougerot-Sjögren primitif varie dans la population générale de 0,1 à 0,4 % selon les critères utilisés. C’est, par ordre de fréquence, la seconde maladie auto-immune systémique après la polyarthrite rhumatoïde. Il s’agit le plus typiquement d’une femme âgée de plus de 45 ans. Le syndrome de Sjögren primitif peut néanmoins toucher toutes les échelles d’âge. Le syndrome sec buccal est un mode de révélation classique, mais il peut être absent sans que cela ne doive remettre en question le diagnostic lorsqu’il existe isolément un syndrome sec oculaire par exemple. Des critères européens révisés ont été définis (cf. encadré).
Les critères d’exclusion retenus par le comité International sont :
– antécédent d’irradiation cervicale ou céphalique ;
– hépatite C ;
– immunodéficience acquise ;
– antécédent de lymphome ;
– sarcoïdose ;
– réaction du greffon contre l’hôte ;
– utilisation de médicaments anticholinergiques (depuis une période inférieure à quatre fois la demi-vie du médicament).

6. Comment traiter le syndrome sec buccal ?

Lorsque le syndrome sec buccal a été identifié et confirmé, il faut tout d’abord s’assurer de l’absence de prise de médicament potentiellement aggravant. Le patient doit être sensibilisé au fait que la diminution de la qualité et de la quantité du flux salivaire modifie l’équilibre de la flore buccale et entraîne un risque de glossite, de gingivite, de parodontopathie, augmente le risque de caries et favorise les candidoses buccales. Différentes mesures symptomatiques peuvent être proposées.
Traitement du syndrome sec par voie générale
– Eviter tous les médicaments susceptibles d’induire ou de majorer une xérostomie : principalement ceux ayant une action anticholinergique.
– Favoriser la respiration nasale.
– Supprimer tout facteur d’assèchement de l’air ambiant, particulièrement dans la chambre à coucher (chauffage, air conditionné).
– Salive artificielle type Artisial.
– Bromhexine (Bisolvon, cp 8 mg) : de 1 à 2 cp trois fois par jour, améliore la xérophtalmie deux fois sur trois, moins efficace sur la xérostomie.
– Sulfarlem S25 : de 1 à 2 cp trois fois par jour, améliore la xérostomie.
– Teinture de Jaborandi : de 10 à 30 gouttes, trois fois par jour, peut améliorer la xérophtalmie et la xérostomie (contient du chlorhydrate de pilocarpine).
– Chlorhydrate de pilocarpine :
· préparation magistrale ou Salagen : cp à 5 mg, 1 cp trois fois par jour, après plusieurs semaines éventuellement 2 cp trois fois par jour ;
· action cholinergique (stimule les récepteurs muscariniques M3) explique ses effets indésirables : bradycardie, vasodilatation ; contraction des cellules musculaires lisses bronchiques (bronchospasme), urinaires (colite néphrétique), voies biliaires (cholécystite) ;
· contre-indications : hypersensibilité à la pilocarpine, asthme non contrôlé, iridocyclite, glaucome par fermeture de l’angle, grossesse, allaitement, hypersudation, bouffées de chaleur, polyurie (efficacité sur la xérostomie et la xérophtalmie).
– Soins dentaires réguliers : détartrage, soin de caries.

Pr Eric HACHULLA
Service de médecine interne, CHU, hôpital Claude-Huriez, Lille

Source “le Quotidien du médecin” 29 Novembre 2002