Perceptions des patients subissant un traitement orthodontique lingual

L’appareil orthodontique lingual a été introduit pour la première fois à la fin des années 1970 [1] [2] [3] [4] . Ce type de traitement offre l’avantage d’être un mode de traitement orthodontique quasiment invisible. Bien que l’appareil ait été l’objet de beaucoup d’attention à travers le monde, son utilisation reste limitée – du moins en partie – par le scepticisme durable des orthodontistes face à la capacité des patients à s’adapter aux brackets linguaux en raison d’éventuels problèmes, pendant le traitement, d’irritation linguale, d’élocution et d’hygiène orale. Plusieurs publications récentes ont décrit les aspects techniques/cliniques de la technique [5] [6] [7] [8] [9] . Cependant, peu d’articles parlent des caractéristiques des patients, de leur niveau d’acceptation et de motivation [10] [11] [12] .

L’objectif de cette étude est d’évaluer la réponse de patients face à la mécanothérapie linguale.

La population de l’étude consistait en 25 patients (14 femelles et 11 mâles ; âge moyen : 17,7 ans) traités dans le Département d’Orthodontie de l’Ecole de Médecine à l’Université d’Istanbul. Tous les patients portaient des brackets linguaux de 7 ème génération aux deux arcades. Les brackets étaient collés selon la technique indirecte pendant la même séance. Du CuNiTi © 0.017 x 0.017 a été utilisé en arc initial. Après mise en place de l’appareil, tous les patients ont été invités à noter chaque jour tous les problèmes provoqués par les brackets linguaux : problèmes intrabuccaux y compris la douleur, les problèmes de mastication et d’hygiène orale, et tout changement au niveau de la parole et de l’élocution induit par l’appareil. Après trois mois de traitement, une enquête en cinq parties comportant 23 questions a été soumise à tous les patients. Il leur était demandé de consulter leur journal en remplissant le questionnaire s’ils avaient la moindre hésitation concernant l’intensité, la durée ou la sévérité du problème.

Les résultats de cette enquête étaient les suivants :

Inconfort/douleur au niveau de la bouche
Q1 : Avez-vous éprouvé de l’inconfort et/ou de la douleur au niveau de la bouche après la mise en place des brackets ?

Oui n = 25 100 %

Non n = 0 0 %

Q2 : L’inconfort et/ou la douleur étaient-ils

A. Généralisés ?

n = 4 16 %

B. Localisés ?

n = 21 84 %

Q3 : Avez-vous ressenti de l’inconfort et/ou de la douleur au niveau de la langue après la mise en place des brackets ?

Oui n = 22 88 %

Non n = 3 12 %

Q4 : Combien de temps l’inconfort lingual a-t-il duré ?

48 heures n = 2 9 %

2-7 jours n = 10 45 %

7-14 jours n = 6 27 %

14-28 jours n = 3 14 %

3 mois n = 1 5 %

Q5 : Avez-vous éprouvé de l’inconfort et/ou de la douleur au niveau des joues après la mise en place des brackets ?

Oui n = 8 32 %

Non n = 17 68 %

Q6 : Combien de temps a duré l’inconfort/la douleur ?

48 heures n = 4 50 %

2-7 jours n = 3 38 %

7-14 jours n = 1 12 %

14-28 jours n = 0 0 %

3 mois n = 0 0 %

Q7 : Avez-vous éprouvé de l’inconfort/de la douleur au niveau des lèvres après la mise en place des brackets ?

Oui n = 4 16 %

Non n = 21 84 %

Q8 : Pendant combien de temps a duré l’inconfort/la douleur au niveau des lèvres ?

48 heures n = 2 50 %

2-7 jours n = 1 25 %

7-14 jours n = 1 25 %

14-28 jours n = 0 0 %

3 mois n = 0 0 %

Q9 : Où avez-vous éprouvé le plus d’inconfort/douleur au niveau de la bouche ?

La langue n = 25 100 %

Les joues n = 0 0 %

Les lèvres n = 0 0 %

Problèmes alimentaires
Q10 : Avez-vous eu des problèmes d’alimentation après la mise en place des brackets ?

Oui n = 25 100 %

Non n = 0 0 %

Q11 : Avez-vous eu des problèmes pour manger des aliments fermes ou fibreux ?

Oui : n = 24 96 %

Non n = 1 4 %

Q12 : Avez-vous eu des problèmes pour manger des aliments mous ?

Oui n = 11 44 %

Non n = 14 56 %

Q13 : Combien de temps ont duré les problèmes alimentaires ?

48 heures n = 1 4 %

2-7 jours n = 4 16 %

7-14 jours n = 8 32 %

14-28 jours n = 7 28 %

3 mois n = 5 20 %

Problèmes de parole
Q14 : Avez-vous eu des problèmes pour parler après la mise en place des brackets ?

Oui n = 25 100 %

Non n = 0 0 %

Q15 : Combien de temps ont duré les problèmes ?

48 heures n = 1 4 %

2-7 jours n = 4 16 %

7-14 jours n = 8 32 %

14-28 jours n = 7 28 %

3 mois n = 5 20 %

Hygiéne orale
Q16 : Avez-vous eu des problèmes d’hygiène orale après la mise en place des brackets ?

Oui n = 18 72 %

Non n = 7 28 %

Q17 : Quels types de problème d’hygiène orale avez-vous eus ?

Les aliments collés entre les dents n = 25 100 %

Gencives douloureuses ou saignantes n = 10 40 %

Mauvais goût dans la bouche n = 6 24 %

Problèmes généraux
Q18 : Qu’est-ce qui vous a le plus importuné pendant votre traitement ?

Inconfort/douleur dans la bouche n = 7 28 %

Les problèmes alimentaires n = 9 36 %

La parole n = 9 36 %

L’hygiène orale n = 0 0 %

Q19 : Votre appareil, vous incommode-t-il toujours ?

Oui n = 5 20 %

Non n = 20 80 %

Q20 : Avez-vous eu du mal à manipuler l’appareil ?

Facile n = 3 12 %

Modéré n = 18 72 %

Difficile n = 4 16 %

Q21 : Combien de temps avez-vous mis pour vous adapter à votre appareil ?

48 heures n = 2 8 %

2-7 jours n = 2 8 %

7-14 jours n = 7 28 %

14-28 jours n = 11 44 %

3 mois n = 3 12 %

Q22 : Est-ce d’autres personnes ont remarqué que vous êtes en traitement ?

Oui n = 7 28 %

Non n = 18 72 %

Q23 : Voulez-vous faire enlever votre appareil le plus rapidement possible ?

Oui n = 3 12 %

Non n = 12 48 %

Peu importe n = 10 40 %

Plan de l’articleIntroductionMatériel et méthodesRésultatsDiscussionConclusion Discussion
Il a été rapporté que les patients sont susceptibles d’éprouver beaucoup d’inconfort (tension, pression, ou même douleur au niveau des dents) pendant leur traitement [13] . Tous les patients dans cette étude ont répondu qu’ils ont éprouvé un certain niveau d’inconfort/de la douleur au niveau de la bouche après la mise en place des appareils linguaux. Tous les patients ont indiqué que la langue était la région de la bouche où l’inconfort/la douleur était le plus intense. Néanmoins, 95 % des patients (n = 24) ont rapporté que le problème avait disparu à la fin d’1 mois. Ce résultat est en accord avec ceux rapportés par Garland-Parker [7] , par Fujita [2] et par Sinclair et al. [11] . De l’inconfort/de la douleur a également été rapporté au niveau des joues et des lèvres. Trente- deux des patients (n = 8) dans cette étude ont répondu qu’ils ont éprouvé de l’inconfort au niveau des joues. Ce problème est peut- être causé par les boutons placés du côté vestibulaire des premières et/ou deuxièmes molaires. L’adaptation aux boutons molaires semble être intervenue au bout de deux semaines après la mise en place de l’appareil. Ce résultat confirme encore une fois les conclusions de l’étude de Sinclair et al. [11] . Il est intéressant de noter que 16 % des patients (n = 4) ont dit avoir éprouvé de l’inconfort au niveau des lèvres. Ce résultat est peut- être dû au lip-bumper utilisé dans ces cas.

Sinclair [11] a rapporté que les problèmes d’alimentation chez les patients linguaux durent 1 mois. Cependant, Fillion [10] a trouvé que 20 % de patients avaient encore des problèmes d’alimentation au bout de 3 mois. Nos données confirment les résultats de Fillion [10] puisque l’un des problèmes graves rapportés dans cette étude sur les patients en traitement lingual était la difficulté qu’ils ont éprouvée à manger – les aliments fermes et fibreux en particulier – difficulté qui a duré plus de 3 mois chez 20 % des patients [n = 5]. Quoique ce problème se trouve étroitement lié au degré de recouvrement incisif excessif chez les patients au début de leur traitement, il faudrait néanmoins éviter les aliments solides et fibreux, du moins initialement. D’autres aliments devraient être mangés lentement dans un premier temps en attendant que le patient s’adapte à son appareil.

Les difficultés liées à la parole ont constitué l’autre problème majeur dans cette étude. Les enquêtes précédentes ont montré qu’il fallait de une à quatre semaines pour que le patient retrouve sa capacité à parler normalement. Une période d’adaptation relativement plus longue a été rapportée par les patients : 20 % de l’échantillon (n = 5) se sont plaints qu’ils éprouvaient du mal à parler après 3 mois. Cette disparité s’explique peut-être par les différences de prononciation des différentes langues des patients.

Le brossage des dents est l’un des facteurs cruciaux lors du traitement orthodontique : 72 % (n = 18) ont répondu qu’ils ont eu du mal au niveau de l’hygiène orale à cause des aliments qui se coinçaient entre les brackets linguaux. Cette conclusion confirme l’étude de Sinclair et al. [11] . Puisque la mise en place de bagues et de brackets orthodontiques augmente le risque d’accumulation de plaque bactérienne, une attention toute particulière doit être portée à la prévention des caries et la décalcification autour des brackets linguaux. Une méthode de brossage a été proposée à cette fin par Fujita [14] . Des irrigateurs oraux tels que les cure- pipes ou de la soie dentaire épaisse incurvés pour former un « U » pourraient rendre des services importants, à côté d’une brosse à tête étroite appliquées dans les interstices.

A en juger d’après les doléances rapportées par les patients dans notre étude, la parole et la mastication constituaient les problèmes principaux. Ce résultat contraste avec la conclusion faite par Fillion [10] qui a observé que l’inconfort était le problème principal chez ses patients recevant un traitement lingual. Cela est peut-être dû à la différence entre les populations recrutées dans les deux études. La recherche psychologique a montré que la perception de la douleur et de l’inconfort est affectée par les valeurs et les attentes du sujet [15] , [16] . L’âge est un autre facteur qui peut expliquer cette divergence. Jones [17] a montré que les patients adultes éprouvent plus de douleur et d’inconfort que les patients plus jeunes, pendant leur traitement orthodontique.

Dans cette étude le temps d’adaptation aux brackets linguaux était de 2 à 30 jours chez 88 % (n = 22) des patients et seulement 16 % (n = 4) de la population ont rapporté que le maniement de l’appareil a présenté des difficultés. En revanche, 80 % de l’échantillon (n = 20) ont répondu que l’appareil lingual ne les incommodait plus dès la fin du troisième mois. Ces résultats sont en accord avec ceux rapportés par Fillion [10] et Sinclair et al. [11] .

La raison principale pour laquelle les patients dans cette étude ont choisi un traitement lingual était en rapport avec le caractère esthétique de la technique. Ce but a manifestement été atteint dans l’ensemble puisque 72 % des patients (n = 18) ont répondu que les gens ne remarquaient pas qu’ils étaient en traitement et seulement 12 % de l’échantillon (n = 3) voulaient faire enlever l’appareil le plus rapidement possible.

Plan de l’articleIntroductionMatériel et méthodesRésultatsDiscussionConclusion Conclusion
Les résultats de cette étude rétrospective montrent l’acceptation positive par les patients de l’appareil lingual. Les difficultés rencontrées ont été tolérées après une période d’adaptation tout à fait acceptable. En effet, dès la fin du premier mois :

95 % des patients n’éprouvaient plus d’inconfort/de douleur ;
les problèmes liés à la mastication – surtout les aliments fermes ou fibreux – étaient tolérés par 80 % de l’échantillon ;
les difficultés liées au langage avaient été surmontées par 80 % de la population.

En conclusion, bien que les orthodontistes soient méfiants, en général, en ce qui concerne la capacité des patients à s’adapter aux brackets linguaux, les résultats de la présente étude donnent à penser que la plupart des patients interrogés étaient très satisfaits du résultat du traitement et que, en matière de confort pour le patient, la technique linguale peut, sans aucun doute, être intégrée dans l’arsenal quotidien du praticien orthodontique.


Source : IO Vol 3 – N° 1 – Mars 2005
p. 57 – 63

Références
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[3] Gorman JC, Hilgers JJ, Smith JR. Lingual Orthodontics: A status Report Part 4 Diagnosis and Treatment Planning. J Clin Orthod 1983;17:26-35.

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[6] Smith JR, Gorman JC, Kurz C, Dunn RM. Keys to Success in Lingual Therapy Part 2. J Clin Orthod 1986;20:330-340.

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