Cas clinique : Une candidose chronique chez une patiente âgée

Une patiente de 62 ans consulte pour des « brûlures » persistantes de la muqueuse buccale apparues il y a plusieurs mois, s´accentuant, gênant l´alimentation et le confort quotidien.

Elle rapporte le début de ses ennuis à la période où son dentiste a procédé à la mise en place d´une prothèse dentaire mobile. Une période d´inconfort intense a suivi cette mise en place, de multiples séances d´adaptation et d´ajustage ont été réalisées, mais la patiente qui se dit « très sensible de la bouche depuis une dizaine d´années » ressent toujours une gêne, des brûlures labiales et un manque de salive. L´hypothèse d´une « allergie à la prothèse » a été évoquée, rapidement exclue par la persistance des signes après une période d´abstention.

La patiente est habituellement traitée par le chlorhydrate de prazosine (1 cp/j) pour une hypertension, une statine (1 cp/j) pour une hypercholestérolémie, le bromazépam (1 cp/j) pour un état anxieux depuis son veuvage et du paracétamol (de 1 à 3 cp/j) pour des arthralgies. Un traitement d´une insuffisance veineuse périphérique est prescrit par périodes. Elle ne fume pas, et ne consomme de l´alcool que rarement.

L´examen de la cavité orale montre d´emblée la présence d´une chéilite angulaire commissurale (ou perlèche) bilatérale, érythémateuse et fissuraire. L´ouverture buccale est de ce fait précautionneuse, et la patiente signale des sensations de tiraillement et des saignements lors des mouvements amples. L´application de vaseline sur les gerçures ne semble pas apporter d´amélioration notable. La zone rétrocommissurale en avant de la face interne de la joue apparaît érythémateuse et légèrement opaline à la périphérie. L´ensemble de la muqueuse buccale est inflammatoire. En avant du V lingual, une zone grossièrement losangique apparaît lisse et dépapillée, légèrement mamelonnée. Une fois la prothèse partielle mobile ôtée, la zone de contact avec la muqueuse palatine apparaît très érythémateuse, luisante, dessinant parfaitement la surface d´appui. La salive est épaisse, peu abondante, et l´expression des glandes salivaires est peu productive. L´hygiène dentaire est moyenne sur une denture incomplète puisque quelques dents inférieures (dont deux molaires) extraites ne sont pas compensées. De ce fait, la hauteur de l´articulé dentaire apparaît insuffisante (l´occlusion se fait plus haut que naturellement), accentuant le pli des commissures labiales. S´il y a bien un projet de confection d´une prothèse inférieure, la patiente y sursoit pour des raisons financières et par découragement à la suite des difficultés d´adaptation de la prothèse supérieure.


Chélite commissurale candidosique associée à une hyposialie (photo Didier Gauzeran)


Surinfection bactérienne d´une chéilite commissurale candidosique (photo Didier Gauzeran)

La symptomatologie fonctionnelle de cette patiente et la présence de lésions assez caractéristiques (chéilite angulaire et rétrocommissurale, glossite losangique médiane, érythème sous-prothétique) rend très probable le diagnostic de candidose chronique. S´il n´est pas obligatoire, l´examen mycologique permet de confirmer le diagnostic en mettant en évidence la présence de nombreuses colonies de Candida albicans. Il met fin aux errances diagnostiques et favorise l´adhésion de la patiente au traitement et aux mesures qui seront préconisées. Il n´y a pas lieu de demander un antifongigramme, inutile en routine.

A ce stade, et en l´absence de lésions inhomogènes à composante érythémateuse et kératosique, il n´y a pas lieu de pratiquer un examen histologique.
Diagnostic étiologique et analyse des facteurs favorisants

L´ancienneté de la symptomatologie fonctionnelle chez cette patiente rend possible la présence d´une candidose chronique ignorée favorisée par une maladie systémique (hypertension artérielle, dont il convient de vérifier la stabilité) et un traitement sialoprive (anxiolytiques). La mise en place de la prothèse supérieure crée des conditions supplémentaires propices à la prolifération candidosique et exacerbe la symptomatologie fonctionnelle et clinique, indépen-

damment des difficultés propres à l´appareillage mobile. L´absence de compensation des extractions inférieures diminue la hauteur d´occlusion, accentue les plis des sillons commissuraux et majore la macération salivaire à ce niveau, d´où la présence de la chéilite angulaire. Purement candidosique au début, celle-ci peut se surinfecter secondairement (staphylocoques, streptocoques) (cf. photo ci-dessous).

Prélèvement mycologique

Faire réaliser au laboratoire d´analyses médicales de votre choix, le matin, strictement à jeun et sans brossage dentaire ni bain de bouche préalable, un prélèvement par grattage de la face dorsale de la langue à la recherche d´une candidose avec identification et comptage du nombre de colonies.

Traitement mixte

Chez cette patiente, la présence de plusieurs foyers de candidose chronique impose un traitement local et systémique. Il est à noter que certaines statines interdisent le recours au kétoconazole et à l´itraconazole en raison des interactions médicamenteuses entre ces molécules.

La prescription d´un traitement local par bains de bouche composés nous paraît préférable chez cette patiente en raison de ses avantages : humidification des muqueuses, apaisement des inflammations, action mécanique des rinçages qui éliminent une certaine quantité de micro-organismes et de débris cellulaires, diminution des risques d´éceurement dû aux goûts très amers, difficilement camouflable des antifongiques (observance). Même si l´efficacité de cette composition n´a pas bénéficié d´études contrôlées, les études de stabilité et d´efficacité in vitro et l´expérience clinique la rendent très utile (action antifongique, antiseptique et alcalinisante) :

Préparation pour bains de bouche :
– nystatine : 1 flacon de 24 ml ;
– chlorhexidine ou hexétidine : 1 flacon ;
– bicarbonate de Na 14 %, qsp 400 ml.

Faire cinq ou six bains de bouche par jour, après les repas. Ne pas manger ou boire deux heures après. Garder le produit le plus longtemps possible dans la bouche avant de le cracher.

Le produit est à conserver au réfrigérateur (4 °C, à l´abri de la lumière). Renouveler la préparation tous les trois jours.

Traitement pendant deux semaines.

Chlorhexidine, solution à utiliser pure, sans rincer. Appliquer matin et soir au moyen d´un Coton-Tige imbibé après nettoyage de la commissure labiale.

Miconazole, gel buccal à appliquer sur l´ensemble de la lésion commissurale (peau et muqueuse) et sur l´intrados de la prothèse après chaque repas pendant deux semaines.

Fluconazole, prendre une gélule, dosée à 50 mg, par jour ou une cuillerée-mesure de suspension buvable pendant 7 à 14 jours (la posologie peut être doublée si la candidose est sévère ou le traitement prolongé d´une semaine : prescription hors AMM).

Quels conseils pour la patiente ?

Outre les conseils habituels de réhydratation de l´organisme destinés à favoriser le fonctionnement salivaire, on préconisera de moduler le traitement anxiolytique en fonction des besoins réels. On incitera la patiente à revoir le dentiste traitant pour vérifier la qualité de la prothèse en place et à hâter la restauration prothétique inférieure. Les conseils d´hygiène buccale et de la prothèse seront rappelés (utiliser un dentifrice bicarbonaté, désinfecter la prothèse en la brossant après chaque repas ; chaque soir, la laisser tremper au moins une heure dans un bain de bouche à base de chlorhexidine).

Que faire en cas de persistance des lésions ou de récidive ?

La patiente sera systématiquement revue au terme des deux semaines de traitement.

En cas de persistance des lésions ou de récidive, le traitement sera renouvelé après vérification de l´observance, et l´on tâchera de compléter le bilan étiologique à la recherche de facteurs jusqu´alors méconnus : diabète, carence martiale ou vitaminique, biopsie des glandes salivaires accessoires à la recherche d´un syndrome de Gougerot- Sjögren, etc.

“Le quotidien du médecin”
Article du 08-Oct-2001 par Lotfi BEN SLAMA